mercredi 22 mai 2013

 

EXTRAITS de Big Bang Baby

Deuxième partie: "Le Big Bang"


ALLAITEMENT
 
"Je n’étais pas préparée à grimacer pendant la tétée, à voir la petite arriver en hurlant au sein, à ce que les personnes présentes autour de moi s’interrogent sur la qualité ou la quantité de mon lait dès que le bébé pleurait un peu fort. Je n’aurais jamais cru, enfin, que ma poitrine serait un jour envisagée par mon entourage, et surtout par mon mari, comme un moyen de calmer un bébé qui hurle. « C’est quand la prochaine tétée ? », m’avait-il demandé, à bout et impatient, un soir que Junie hurlait, à une heure du matin. J’avais eu envie de pleurer, je m’étais sentie seule, et humiliée dans mon rapport à l’intimité."
 
PLEURS
« Les pleurs, c’était tout autre chose.
Des salves de cris que rien ne calme, qui s’emballent, surenchérissent, la petite langue vibre dans la bouche étirée, les petits poings sont serrés, « pleurs » sans larmes, d’ailleurs, au début, je ne m’en fis la réflexion que quand les larmes virent, bouleversantes, insupportables. Des pleurs décérébrants, à en perdre la raison, à ne savoir que faire.
Je me souviens d’un soir, je voulais sécher mon linge à la machine, et Junie hurlait ventre sur mon épaule. J’ai lancé une lessive au lieu de la sécher, je m’en suis rendu compte, je l’ai interrompue, et puis j’ai voulu à nouveau lancer le mode séchage, mais j’ai une fois de plus relancé la machine, et moi, au fond de moi, j’aurais voulu poser le bébé, et m’asseoir sur le sol, la tête entre les mains, et puis pleurer, pleurer, et pourquoi pas crier, comme le bébé, exprimer, moi aussi, ce trop-plein d’émotions, cette tempête intérieure des nerfs sciés par la violence des cris, mais il fallait tenir la barre pendant qu’on se noyait, agir, quand on aurait voulu tout lâcher, trouver des solutions alors que l’on était au comble de la dépréciation de soi et de l’épuisement moral. 
EMERVEILLEMENT
 
« Je repose Junie dans son cocon. A la lumière pâle du jour qui passe à travers les persiennes, je vois les yeux de Junie, ronds, ouverts, précis, curieux, splendides. Elle sourit. Et par ce sourire, elle balaye des siècles de poésie. C’est adorable, transcendant, magique. J’applaudis, je l’embrasse, je lui parle : « Tu souris ? Tu souris ma chérie ? » Elle sourit à nouveau. Mon cœur de mère entre en fusion. Comme c’est beau. Je lui souris. Elle me sourit. Elle me répond, et ça c’est nouveau, c’est magique, elle communique, c’est une interaction. Je souris, elle sourit. J’ai envie d’appeler la terre entière, leur dire, à tous, cette merveille qui vient de se produire, ce bourgeon de communication… Je cours dans le salon prendre l’appareil photo. Il faut que ma maman voie ça. « Junie, ma Junie, mon petit bout chéri ! ». Je souris, elle sourit. Je filme. Je suis trop excitée pour attendre que mes parents viennent, pour leur montrer, je préparerai un courrier, j’enverrai la clé USB. C’est trop, c’est trop magnifique, c’est trop beau !

Je pourrais continuer infiniment, mais Junie fatigue, elle commence à pigner. Caresse. Elle se rendort. Je m’allonge, le cœur débordant, immense, il dépasse les limites de sa cage, il déborde hors de moi, je dégouline d’amour, je suis une fontaine d’affection pure, ça coule de moi, du lit, ça passe sous les portes, ça s’enfuit en cascade dans les escaliers jusqu’à gagner la rue. »

mardi 21 mai 2013

EXTRAITS de BIG BANG BABY

 

Première partie


 

            « Je vais faire le test. Il y avait tant d’émotions inconnues et confuses chez chacun de nous que nous sommes restés très silencieux. Nous nous sommes allongés, blottis l’un contre l’autre, le test à côté de nous, et nous avons attendu, un peu tremblants. Nous n’étions pas pressés. Je crois même que j’aurais voulu que le temps s’étire, pour que mes émotions s’ordonnent et s’apaisent, pour pouvoir consacrer à la nouvelle qui nous attendait toute l’intensité qu’elle méritait. »

 

     « Le déroulement de ces actions s’est fait dans une sorte de brouillard : brouillard de nuit, brouillard de fatigue, brouillard de douleur. Régulièrement, une vague électrique me saisissait les reins, d’abord comme une morsure, puis se répandait dans mon ventre et devenait si vive que je devais m’accroupir au sol pendant plusieurs minutes, ou me recroqueviller sur moi.
     Les vagues de douleur donnaient à mes actions un rythme de procession, et le flou dans lequel elles me plongeaient créait comme une aura de sacré. C’était moi qui allais accoucher, qui allais percer le mystère de l’enfantement en le vivant dans ma chair, j’allais incarner cette scène vue dans tant de films, racontée dans tant d’écrits, si intime, si universelle, et qui allait pourtant être si unique, si individuelle.
   J’allais donner la vie. »

 

     « On y est presque ! On voit la tête ! Poussez, poussez plus fort ! ». Je me rappelle simplement m’être dit que c’était impossible, de pousser plus fort, que j’étais au maximum de mes forces, d’avoir eu peur, et puis d’avoir senti que mon corps donnait plus, tellement plus, c’était presque effrayant de sentir que mon corps était capable de dépasser de si loin ce que je pensais être le paroxysme de ses capacités. Je crois, maintenant, aux histoires impensables de mères qui, après un accident, sont capables de soulever une voiture pour sauver un enfant, aux conclusions scientifiques sur le fait que nous n’utilisons qu’un pourcentage infime de nos capacités : je l’ai senti dans mon corps, dans cette poussée si charnelle, si totalement concrète et pourtant presque irréelle. Jamais je ne vivrai mon corps de la même manière, plus jamais je ne douterai que l’on puisse accomplir des merveilles, et atteindre l’inimaginable, plus jamais je ne poserai de limites à ma pensée, les choses incroyables me sembleront envisageables, finalement.

 

Lucie Citharelle
 

PRESENTATION de BIG BANG BABY

Lucie Citharelle, sokrys éditions

 


Big Bang Baby retrace, vécues de l’intérieur et avec une réelle quête de justesse, les grandes étapes de l’attente et de la première année de l’arrivée du nouveau-né dans un jeune couple. Grossesse, redéfinition du couple, accouchement, allaitement, crise du couple, reconfiguration de la famille : le roman aborde ces événements ainsi que les sentiments complexes et ambigus qui les accompagnent.

« Avec Big Bang Baby, j'ai réalisé le rêve d'écrire le roman que j'aurais aimé lire pendant ma grossesse et à l'arrivée de ma petite fille.

J’étais novice.

Je m'étais forgé une image de la mère que je voulais être à partir de mes lectures, de ma famille, des propos de mon entourage, et des images valorisantes ou réprobatrices que véhicule notre société.

Malgré mon esprit critique, la connaissance que j'avais de moi-même, j'étais désemparée et sans repères à la naissance de ma petite.
Je ne me connaissais pas en tant que mère, et j'avais peur de découvrir mes failles, mes imperfections. Alors je jouais la mère dont je m'étais construit l'image idéale pendant ma grossesse.

Ce fut destructeur.

Il me fallut du temps, de l'ardeur et du courage pour laisser éclore la mère réelle que je portais en moi. Ce fut douloureux de me découvrir imparfaite, et plus difficile encore de m'accepter ainsi.


Il le fallait.
Je l'ai fait.


C'est ce que je raconte dans Big Bang Baby. Une conquête, celle de la mère que je suis vraiment, sa découverte et son acceptation. "
 
Lucie Citharelle